Le Quatuor Arod et Alexandre Tharaud, lyrisme suspendu
18 décembre 2019
Le jeune ensemble et le pianiste français ont dominé l’envoûtant «Quintette pour piano» de César Franck, lundi soir à Genève
Mystère, ardeur, intensité : le Quatuor Arod et Alexandre Tharaud ont livré une splendide interprétation du Quintette pour piano de César Franck lundi soir à la Salle centrale de la Madeleine à Genève. Cette œuvre aux thèmes cycliques récurrents, à la manière de leitmotivs, nécessite un souffle soutenu. Le pianiste et ses jeunes acolytes français y ont forgé une belle entente, après une première partie dévolue à un quatuor de jeunesse de Schubert et au Quatuor n° 5 de Bartók.
Créé en 2013, formé par leurs aînés (Quatuor Artemis, Quatuor Ebène), le Quatuor Arod figure parmi les plus prometteurs de la nouvelle génération en France. Qu’ils abordent des pièces hautement virtuoses ou recueillies, ils parviennent à se mettre sur la même longueur d’onde. (…)
Energie et insouciance viennoise
Mais nos jeunes musiciens sont vaillants! D’emblée, on est frappé par leur tonicité dans le Quatuor à cordes n° 4 en ut majeur de Schubert. Après une introduction en forme de fugue aux nuances millimétrées, ils empoignent l’«Allegro con moto» avec force et conviction. Ce Schubert sonne très musclé, attaques franches, unissons au caractère symphonique. Puis vient la facette plus légère de Schubert, plus «viennoise» aussi, avec des mélodies gorgées d’insouciance. Si le jeu du Quatuor Arod paraît un peu dur par moments (l’acoustique sèche y contribue), l’étalonnage des dynamiques, le soin porté à l’articulation confèrent une vitalité heureuse à cette musique. Beaucoup plus ardu, le Quatuor à cordes n° 5 de Bartók exige une précision du diable. Le Quatuor Arod fait ressortir les arêtes vives du premier mouvement; il joue à merveille la carte de la rusticité dans le deuxième thème à l’allure hongroise ainsi que dans le «Scherzo alla bulgarese». On y entend à la fois le terreau des musiques populaires recueillies par Bartók comme les trouvailles contrapuntiques au sein d’une structure en cinq mouvements.
Ambiance nocturne
Le contraste est béant avec les séquences plus nocturnes dans les deuxième et quatrième mouvements. A la fois solide et nuancé, le violoncelliste Samy Rachid forme le pilier du groupe. Il répond au premier violon Jordan Victoria, expressif et délicat malgré quelques acidités, comme au second violon Alexandre Vu et à l’altiste Tanguy Parisot, lesquels partagent une belle complicité au sein du quatuor.
Le Quintette pour piano de Franck nous entraîne dans d’autres sphères – les tréfonds du romantisme. Alexandre Tharaud déploie des sonorités tour à tour timbrées et translucides dans l’introduction. A cette poésie répondent des passages plus enfiévrés où le pianiste accentue les accords forte, parfois en tapant un peu fort sur la pédale. Les cordes, elles, forment un corps soudé; s’instaure peu à peu un dialogue avec le piano. Le mouvement lent est suspendu et lunaire. Le «Finale» – netteté de l’articulation, attaques drues – suggère une sorte de chevauchée fantastique. Un mouvement lent de Concerto pour clavier de Bach, joué en pizzicati aux cordes, apporte un contraste bienheureux.
– Julian Sykes